Quand le FBI écrivait à Martin Luther King pour le pousser au suicide

«King, Au regard de la bassesse de ton comportement anormal, je n’accorderai pas à ton nom la dignité t’appeler monsieur ou révérend ou docteur. Et ton nom propre ne rappelle que celui du King Henri VIII, ses innombrables actes d’adultères et sa conduite morale plus basse que celle d’une bête.»
C’est en ces termes choisis que commençait une lettre «anonyme» envoyée par le FBI au pasteur Luther King en novembre 1964. Le leader noir des droits civiques américains venait d’être désigné lauréat du Prix Nobel de la Paix, ce qui donnait à sa stature et au mouvement noir une visibilité planétaire insupportable pour les esprits trop démocratiques de son pays, les Etats-Unis d’Amérique.
L’auteur de la lettre retrouvée dans les Archives nationales américaines par la chercheuse Beverly Gage*, n’était vraisemblablement autre que le cabinet du tout-puissant patron du FBI Hoover tristement célèbre pour sa lutte acharnée contre les militants antiracistes et les sympathisants communistes, au prétexte de la protection de son pays.
La lettre utilise le subterfuge grossier d’un déçu de la cause se désignant par «us negroes», un « nous Noirs», qui prétendument, aurait voulu voir en Martin Luther King un grand leader moral. De cette astuce elle veut tirer profit pour l’agonir d’injures au motif de ses supposées «perversions», «orgies sexuelles», et toutes anomalies de comportement insinuées. L’auteur de la lettre va jusqu’à dénier à King toute croyance ni en Dieu ni en aucun principe moral, traité de «fraudeur colossal», de «vicieux» et de «démon», autant de qualité en ferait tout sauf un clerc : «you are not a clergyman» !
A réception de cette lettre, Martin Luther King et son entourage avaient rapidement conclu qu’il s’agissait d’une manœuvre du FBI. En effet la conclusion de cette prose d’un genre particulier, avait laissé ouvert le champ des interprétations : tantôt celles d’une pression pour voir King abandonner la lutte, tantôt une stratégie d’éviction au profit de quelqu’un d’autre, tantôt, hypothèse que nous privilégions parce que King connaissait bien ceux qui avaient juré d’entraver son action et leurs registres d’action, une action psychologique visant à pousser le Prix Nobel de la Paix au suicide.
Ladite lettre se terminait ainsi : «King, il ne te reste qu’une chose à faire. Tu sais de quoi il s’agit. Tu n’as plus que 34 jours pour le faire. (Ce chiffre a été choisi pour une raison spécifique, il a une signification pratique précise. Tu es fait. Il ne te reste qu’une voie. Tu devrais l’emprunter avant que ta nature dégoutante, anormale et frauduleuse soit dévoilée à la nation).»
Cet épisode haut en couleurs de «la démocratie en Amérique» est riche d’enseignements. Il montre comment la force d’une cause a pu résister aux faiblesses réelles ou supposées de ceux qui l’ont portée, et comment l’hégémonie policière et militaire étasunienne n’aura été qu’éphémère face l’engagement massif et continu des faibles, des déshérités, des Africains des Amériques. Qu’une des facettes des démocraties modèles soit de la sorte dévoilée, par elles-mêmes -Archives nationales américaines- a également une valeur à méditer.
Add comment