Steel pan toute ! La nouvelle prise de parole caraïbe

Qu’est-ce qui a pris l’administration coloniale britannique lorsqu’elle décida au XIXe siècle occidental de bannir la langue des tambours africains résonnant dans les Caraïbes, à Trinidad et Tobago ? Ces sons semblaient communiquer entre groupes et n’étaient disaient-ils pas innocents dans la perturbation de l’ordre colonial et dans les violences entre bandes rivales. Le résultat ne fut pas vraiment de toute attente puisque privés de l’expression culturelle qu’ils détenaient de leurs ancêtres, Africains et Afrodescendants caribéens allaient donner naissance à des substituts proches, plus tard mué en rythme, genre et style musical désormais authentiques et appréciés. Le steel pan, gamme d’instruments et musique était né.
Tout se déchaîne dans les années 1930. Les anciennes percussions prohibées ont été remplacées par l’art de la récupération mêlé à celui du rythme. Les couvercles de poubelles, les bidons, les barils de pétrole vides sont des matériaux qui travaillés de façon adéquate font sens, surtout font son. Sortis de l’orphelinat des tambours traditionnels, les jeunes de Trinidad s’organisent en bandes de panistes -joueurs de ces percussions en acier-, les fameux Steel Bands. Ils se concurrencent, s’affrontent, les carnavals de rue sont leurs lieux de joutes musicales et de consécration.
Au tournant de ces années 30 où le steel prend son essor, les joueurs découvrent que la dimension rythmique peut être agrémentée par l’utilisation de notes, enrichissant radicalement le registre d’usage de l’instrument qui changea totalement de statut. Le nom de Winston «Spree» Simon (photo) est associé à cette révolution du steel.
Steel drum, tambour d’acier encore appelé steel pan, l’instrument prendra un chemin comparable au vibraphone ou au xylophone dans l’exploitation de ses possibilités. Mais ses conditions de naissance font de lui un instrument qui se joue aussi en groupe, avec des rivalités historiques entre les formations pouvant atteindre les 300 panistes jouant en même temps !
A Trinidad et Tobago les carnavals sont l’occasion de ces confrontations où la musique de variété prend sa place à côté de genres plus «savants» interprétant du Schubert, du Bach et tout ce qui a de plus classique et symphonique européens.
Avec le temps le steel s’émancipe de la rue, des carnavals sans se couper de son histoire. Le nombre de notes et de joueurs dans les formations augmente. Il fait son entrée aux USA, en Grande Bretagne par les flux migratoires, les diasporas et l’insertion dans les Amériques des Caraïbes transmet à l’US Navy cet art et cette musique qui se trouvent un ambassadeur de poids… certes à certains égards gênants…
Le steel écrit des pages jeunes de son histoire, une histoire qui s’accélère. S’il a su se frotter au classique, à la symphonie, aux orchestrations complexes et exigeantes, il a décidé d’aller plus loin. Le steel pan a fait son entrée dans le jazz et dans la variété, et sait aussi bien défendre ses couleurs avec la chaleur des Bands que seul émetteur de cette émotion caraïbe si touchante. Ses musiciens évoluent de plus en plus dans des groupes très différents, sans prétendre à y refaire Trinidad, si bien que l’on peut penser que l’intégration aux musiques non insulaires est aujourd’hui en cours de réussite. Rêvons de l’apparition des panistes en solo qui précèderaient de peu l’arrivée fatidique de chanteurs-panistes qui mettraient cet instrument à l’histoire fabuleuse définitivement dans la cours des grands, du Respect.
Les noms célèbres du Steel pan commencent à se tailler une réputation internationale, les Len Boogsie Sharpe, Othello Molineaux, Andy Narell, Aldon Moore, Jim Munzenrider, Robert Greenidge, Liam Teague, Alan Lighter, Ray Holman, …
Les petits nouveaux pointent leur nez, talentueux et ambitieux. Un des ambassadeurs de cette vague jeune, le virtuose indo-guadeloupéen Laurent Lalsingué, paniste accompli, premier prix de conservatoire, est le premier musicien français diplômé de Jazz au Steel pan. Capable de passer de Chopin à Pastorius, il évolue dans des formations de Jazz et fusion Jazz en plus des Steel bands traditionnels. Laurent Lalsingué, un rien amusé, son premier album à peine sorti avec son groupe Caraïb II Jazz (2007), nous déclarait à la sortie d’un concert en juin 2007 : «L’avenir c’est nous» !
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